mardi, avril 12

L’accaparement des terres agricoles en Afrique

Les prix des produits agricoles flambent, la hantise des terres agricoles s'accentue. Selon le site farmlandgrab.org, de nombreux pays non africains se lancent dans une course effrénée pour acquérir des terres de culture en Afrique. La Banque Mondiale annonce que les transactions sur le foncier dans le monde portent sur 45 millions d'hectares de terres agricoles. Les principaux investisseurs sont actuellement les États du Golfe, mais la Chine, la Corée du Sud et plus récemment l'Inde. Les objectifs d'investissement sont principalement les pays d'Afrique, mais également l' Asie du Sud-Est et de l'Amerique du Sud.


Selon les estimations, la superficie des terres africaines achetées par des intérêts étrangers ces trois dernières années atteindrait 20 millions d'hectares, vendus ou loués pour des périodes allant de 50 à 100 ans, ce qui correspond à 10 fois le volume moyen de la décennie précédant l'année de la crise alimentaire. Les pays africains visés essentiellement, selon les statistiques de International Food Policy Research Institute (IFPRI) sont la RDC, le Mozambique, la Tanzanie, le Soudan, l'Ethiopie, Madagascar, le Mali, etc. Ces chiffres sont éloquents.


Alors que certains pays continentaux se posent en champions en encourageant le phénomène, d'autres mènent encore la réflexion sous la pression des organisations paysannes pour déterminer la conduite à tenir face à ce qu'il convient d'appeller (Walf Fadjri, 01 Fev 2011 ) la spoliation des terres des paysans africains et l'avenir de l'agriculture familiale.


Comme on le voit, la question est souvent abordée sous le prisme des relations Nord Sud, c'est-à-dire le Nord industrialisé qui s'accapare les terres des pays du Sud en développement. En réalité, Il y a deux aspects à la question que je voudrais mettre en exergue.


Investir à l'étranger pour assurer la sécurité alimentaire chez soi.Selon le Fonds International de Développement de l'Agriculture (IFAD), les pays arables comptent pour plus de cinq pour cent de la population mondiale mais moins d'un pour cent des ressources globales en eau. La faible teneur en eau de leur sol rend impossible l'agriculture à grande échelle. La conséquence logique est que les Emirats Arabes Unis (UAE) importent plus de 80% de leur nourriture. Pour se mettre à l'abri des fluctuations de marché, les Emirats Arabes Unis suivis d'autres pays du Conseil de Coopération du Golfe investissent énormément dans les terres agricoles à l'étranger à l'exemple de la Chine. Entre 2006 et 2008, les investissements agricoles des Emirats Arabes Unis à l'étranger se sont accrus de 45%. Ils se placent ainsi 3ème derrière la Chine et la Corée du Sud. En rapatriant la production réalisée à l'étranger, ces comptent non seulement assurer leur sécurité alimentaire, mais aussi réduire les coûts de 25%.


La spéculation sur les terres agricoles à des fins d'investissement. Jadis ignorée du monde non paysan, la terre agricole est aujourd'hui devenue à la fois un enjeu de compétitivité internationale et un instrument financier privilégié. Trouver la terre moins cher, partout où elle se trouve devient le leitmotiv. Quand il y a cing ans, les pays en forte croissance du Moyen Orient et d'Asie ont commencé à acheter les terres agricoles en Afrique, des voix se sont levées pour dénoncer l'accaparement des terres et l'exploitation. Maintement, les fonds souverains, les sociétés d'investissement ou de portefeuille de même que les firmes multinationales s'y sont mis à des fins essentiellement spéculatives. Les investisseurs étrangers semblent être particulièrement intéressés à faire des investissements directs dans la terre, soit par propriété inconditionnelle ou des baux à long terme. Ils sont en quête de ressources (terres et eaux) plutôt que de marchés.


Face à ces enjeux, quelle conduite à tenir pour les pays africains ? La réponse se trouve dans une politique macroéconomique rigoureuse, responsable mais ouverte aux investissements étrangers « désirés » afin de valoriser nos terres et impulser une croissance forte. Trois recommandations concrètes :


Première chose, c'est de réaliser que la terre n'est plus un « commodity », un bien ou un actif ordinaire, mais un patrimoine stratégique comme le port, l'aéroport, l'eau, le pétrole, la forêt et toutes autres ressources naturelles. Elle représente un avantage comparatif important dans le commerce international. Il y a donc lieu d'entreprendre des reformes urgentes et de revoir les codes fonciers dans nos pays pour intégrer cette dimension.


Deuxième chose : pouvoir identifier les acteurs et leurs motivations. Savoir distinguer les spéculateurs des investisseurs agricoles qui veulent la terre pour produire et exporter vers leurs pays et assurer la sécurité alimentaire et bioénergétique chez eux. Il est évident que l'exercice ne sera pas facile parce que les montages peuvent être bien ingénieux et complexes. Le principe de base est que quelle que soit la transaction, elle ne doit pas mettre en péril la sécurité alimentaire à long terme et l'équilibre social du pays hôte. Souvent, ce sont les gouvernements qui négocient les accords d'investissement en toute descrétion. L'opacité qui entoure ces transactions suscite des craintes que ces investissements étrangers ne produisent pas des bénéfices à long terme sur la croissance et le mieux être des populations. Pour cela, il faut mettre en place un conseil d'experts chargés d'étudier toutes les demandes introduites par aussi bien les investisseurs nationaux qu'internationaux lorsque la transaction porte sur des superficies dépassant un seuil, par exemple 1000 ha. Le conseil rendra son avis après un débat public impliquant les communautés concernées. Le risque d'accaparement est immense, ce qui signifie des opportunités sur les gens peu véreux. C'est pour cela que la notion de crime économique devra être introduite dans les législations afin de sanctionner les auteurs ou complices de malversations sur les terres agricoles.


Troisième chose : encadrer ces investissements étrangers et veiller à leur articulation avec les politiques sectorielles. En attendant la mise en place d'un code de conduite au niveau de la CEDEAO, chaque pays devra déterminer les règles régissant de tels investissements, y compris le toilettage du régime foncier, l'inventaire des terres et des sols, les mécanismes d'attribution et les normes pour les arrangements contractuels d'exploitation à moyen et long terme. Presque tous les pays disposent aujourd'hui d'un plan stratégique de développement et d'investissement décliné en feuille de route. Les choix ont été faits après de nombreuses études. Il faut résolument garder le cap tout en restant opportuniste et rigoureux.