jeudi, novembre 16

Question d'un lecteur et abonné

Un des jeunes abonnés de mon blog m'a adressé une requête. Il voulait démarrer une affaire et avoir sa propre entreprise. En substance, il me demandait ce qu'il fallait faire. Voici la réponse que je lui ai spontanément faite. Avec du recul, j'ai décidé de publier le contenu en me disant qu'il pourrait inspirer d'autres lecteurs et abonnés. 

Merci pour votre intérêt. Je me réjouis que vous ayez pensé à démarrer une affaire ou un business maintenant. 

Je vous recommande en premier lieu de regarder sur le site: www.smetoolkit.org. J'ai participé au développement de cette plateforme pour le compte du Groupe de la Banque Mondiale. J'ai aussi animé pour le compte du Groupe, des sessions de formation (formation de formateurs) destinées à  faciliter l'appropriation du site, notamment l'exploitation du contenu international de base et le développement de contenu local pour répondre aux besoins spécifiques d'entrepreneurs locaux ou régionaux.

Une fois sur le site, faites la recherche avec les mots clés "How to start a business" ou "How to come up with a good business idea". Vous pouvez aussi "Google" et vous trouverez beaucoup de ressources (articles, guides, présentations d'experts, etc.) à cet effet.

Pour les fondamentaux, une entreprise, qu'elle soit petite, grande ou moyenne, ou encore qu'elle soit formelle ou informelle, est une rencontre entre un entrepreneur et sa passsion (ce qu'il ou elle aime faire ou ce pour quoi il/elle est passionnée) et un marché (des gens connus ou identifiables qui sont prêts à vous récompenser pour le service ou le bien que vous leur offrez). L' idée n'est viable ou n'a de sens commercial que lorsqu'elle séduit un marché qui présente un fort potentiel de croissance. 

Il est essentiel de s'assurer que la demande va croître dans le temps de manière à porter le développement de la jeune l'entreprise. Il faut aussi garder à l'esprit que tout se passe dans un environnement concurrentiel (la plus grande menace pour toute entreprise) et que l'entreprise peut se faire emporter à tout moment si elle ne reste pas vigilante (la veille) et si elle ne se protège pas (la stratégie d'entreprise et l'avantage concurrentiel). Faut-il rappeler qu'environ 80% des entreprises meurent avant d'atteindre l'age de 5 ans selon une récente étude réalisée au Sénégal.

Au total, il faut:
1. Un entrepreneur et l'expression de sa passion : l'idée de projet.
2. Un marché avec un bon potentiel de croissance - on parle de couple entrepreneur/marché.
3. Une stratégie d'entreprise qui se nourrit d'un positionnement clair et d'une stratégie marketing réaliste.

Une fois que vous comprenez ces fondamentaux, vous devez chercher à apporter des réponses aux questionnements suivants: suis-je un entrepreneur et quelles sont mes passions? Qu'est-ce que je sais faire dans mes domaines de passion? Quels sont les besoins et segments de marché mal ou peu desservis et en quoi ma passion peut-elle être la solution? En quoi j'innove et quelle est ma proposition de valeur pour les clients? Comment l'entreprise va-t-elle générer de la rentabilité? 

Pour ce faire, vous vous mettez à observer autour de vous, à explorer, à faire des recherches (les technologies de l'information rendent la recherche bien plus facile aujourd'hui), à prendre des notes et à bâtir un cas. La prise de note est essentielle pour vous obliger à la discipline et à la cohérence dans l'analyse et les choix.

Je suis disponible pour vous accompagner sur ce cheminement. Si vous avez des questions ou besoins d'éclairage,  à tout moment n'hésitez pas. Je vous dirai, de par mon expérience et mes observations, ce qui marche et ce qui ne marche pas. Il vous appartiendra de faire les choix.
J'espère que ceci est utile!

Cordiales salutations et du courage,
V. Akue

jeudi, mai 18

La chaîne de valeur et la compétitivité des produits agricoles

Mise au point par Michael Porter, la chaîne de valeur est un outil d’analyse stratégique permettant d’identifier, au sein d’une entreprise, les différentes activités clés créatrices de valeur pour le client et une marge satisfaisante pour l’entreprise. Elle repose sur l’enchaînement, la succession d’activités étape par étape jusqu’au produit ou service final. Chaque étape permet d’y ajouter de la valeur formant ainsi « la chaîne de valeur ou la valeur en chaîne».

Appliquée à une filière agricole, la chaîne de valeur représente un ensemble d'activités interdépendantes et séquentielles dont la mise en œuvre permet de créer de la valeur identifiable et mesurable pour un produit sur un marché spécifique. Elle comprend les acteurs directs que sont les fournisseurs d’intrants agricoles, les producteurs, les commerçants et négociants, les industriels et les distributeurs de produits transformés. Le deuxième groupe d’acteurs  est  formé des fournisseurs de services de soutien comme les agrégateurs, les gestionnaires de magasins de stockage ou de conservation, les concepteurs de marque et fournisseurs d’emballage, le transport logistique, les prestataires de services spécialisés divers comme les instituts de recherche, la certification, les services de marketing et de communication et bien sûr, les fournisseurs de services financiers et d’informations de marché.

Au niveau macro, la chaîne de valeur intègre également les infrastructures (route, électricité et eau), le cadre légal et règlementaire (foncier, normes et labélisation, fiscalité, règlementation régionale et internationale, etc.) et la politique de développement du secteur qui constituent aussi des leviers majeurs de compétitivité pour la chaîne de valeur.

Premier enseignement : le cadre d’analyse de l’agriculture ou de l’évaluation d’un investissement dans l’agriculture doit aller au-delà de la production et des petits exploitants qui les caractérisent en Afrique subsaharienne. C’est à tout ce florilège d’acteurs économiques interdépendants (micros, petits, moyens et grands) et à leur système de marché que nous devons désormais penser lorsque nous abordons l’agriculture commerciale.

Deuxième enseignement : le marché, c’est à dire les consommateurs, constitue l’essence et le point d’ancrage, d’où  l’importance de bien comprendre les mécanismes de marché si l’on veut optimiser une chaîne de valeur. Ce sont les exigences du marché et de la compétitivité du produit qui déterminent la structure (complexe ou simple, courte ou longue) de la chaîne de valeur. On dit qu’une chaîne de valeur se construit de la gauche vers la droite ou de l’amont vers l’aval mais s’exécute de la droite vers la gauche.

Comparée à la filière, la chaîne de valeur se distingue par son approche orientée marché et son focus sur des produits finis. En effet, la filière part d’un produit de base et aboutit à des produits finis alors que la chaîne de valeur part d’un produit particulier ou spécifique pour un marché précis (local, sous régional, international). Par exemple, quand on parle de filière manioc, le produit de base est le manioc et les produits finis sont les cossettes, le gari, l’attiéké, le couscous, les spaghettis, le foutou, les chips, les beignets, les gaufrettes, le yaourt, l’éthanol, etc. Les chaînes de valeur dans ce cas sont par exemple, le gari, le foutou, l’attiéké, les beignets sur le marché de l’Afrique de l’Ouest, le bâton de manioc sur le marché de l’Afrique Centrale, les agglomérés et les cossettes de manioc pour le bétail en Europe et en Asie.  

Par ailleurs, dans l’approche chaîne de valeur, les acteurs sont interdépendants et la démarche est collective. On se préoccupe de la compétitivité de la chaîne. Certains parlent de « compétition collective » qui est à l’antipode de la compétition individuelle et des rapports en bras de fer qui caractérisent la filière. Au cœur de ce collectif, se trouve l’intensité du partage d’information qui est bien plus déterminante que le capital dans le bon fonctionnement de la chaîne de valeur. Pour que le collectif marche, l’information doit être partagée tout au long de la chaine de valeur sur les exigences du marché (les consommateurs, la qualité des produits demandés et les préférences), l’itinéraire technique du produit, les normes, les prix, les cycles, les variétés et leurs rendements, la qualité des sols, la recherche et les innovations, les technologies, la compétition mondiale et les fenêtres de tir pour les divers produits, la politique de l’Etat, etc.

Troisième enseignement : les flux informationnels sont aussi importants que les physiques de marchandises. Le partage d’information est crucial pour la compétitivité de la chaîne. Il donne de la visibilité et de la transparence dans un système d’organisation ou dans ce dispositif institutionnel aussi complexe que la chaîne de valeur. Les risques sont mieux partagés lorsque les flux physiques et informationnels sont alignés. Les fournisseurs de services financiers et de capitaux (banques, assurances, fonds d’investissement). Les risques sont portés de manière équitable, c’est à dire par les acteurs qui sont les mieux équipés et ils sont rémunérés en raison des risques pris.

Somme toute, la chaîne de valeur est basée sur des systèmes intégrés, une production différenciée, la gestion des risques, des besoins d’information et l’interdépendance des exploitants agricoles et des autres acteurs du système de marché. J’espère que cet article vous a édifié sur la chaîne de valeur agricole et ce qui la distingue de la filière, deux termes qui sont fréquemment utilisés de manière interchangeable alors qu’ils n’ont pas la même signification.

Pour bien comprendre une chaîne de valeur, il faut en saisir le modèle économique. Je vous entretiendrai prochainement sur les divers modèles économiques qui permettent d’intégrer les petits exploitants, socle de l’agriculture en Afrique subsaharienne au marché et à l’économie dans le but d’améliorer leur revenu, de réduire la pauvreté rurale et de promouvoir une croissance inclusive.   

En attendant, faites-moi part de vos commentaires. Merci.

mercredi, mars 29

L'agriculture a le pouvoir de transformer les économies en Afrique

Le développement agricole est à la traîne en Afrique subsaharienne. Alors que le PIB global a augmenté de plus de 6% par an entre 2001 et 2008, le PIB agricole n’a augmenté que de 3,4%. Dans un contexte global, l'Afrique subsaharienne est la seule région qui n'a pas réussi à améliorer la productivité agricole, pour diverses raisons, dont le sous-investissement, les infrastructures insuffisantes, l'insécurité foncière, les politiques de prix défavorables, la faiblesse des institutions, la déconnexion des marchés et les risques agricoles systémiques liés aux changements climatiques.

La région est encore fortement dépendante de l’importation pour nourrir sa population. En 2011, l'Afrique subsaharienne a importé $43 milliards de produits agricoles tout en exportant $34 milliards ce qui a eu comme conséquence un ralentissement des investissements et la flambée des prix des produits de base. Selon la BCEAO, l’évolution des prix à la consommation entre 2002 et 2011 a été essentiellement imprimée par le niveau de la production vivrière dans l’Union, et les tensions sur les cours mondiaux du pétrole brut et des importations vivrières. 

Le renforcement de l'agriculture africaine est donc une nécessité et un moyen de répondre à la demande croissante en nourriture induite par l’accroissement de la population et une urbanisation galopante. Un quart des habitants de la planète en 2050 seront Africains, selon une récente étude de l’ONU sur l'évolution de la population mondiale dont 60% vivront en ville. Plus d’un milliard d’Africains seront des citadins, contre 400 millions actuellement. Les projections anticipent un taux d’urbanisation de 50% d’ici l'année 2030 et de 62% en 2050. Déja des villes comme Lagos and Kano comptent plus de 20 millions d’habitants.

La ville africaine, c’est aussi le lieu d’expression préféré de la jeunesse (l’âge moyen des citadins africains est de 18 ans) particulièrement touchée par la précarité de l’emploi. Ils sont sans réelles opportunités d’emploi à cause de la faiblesse du tissu industriel et la prépondérance des entreprises commerciales.  

Et pourtant, l’agriculture présente un énorme potentiel en Afrique subsaharienne. La région dispose de vastes quantités de terres non cultivées - près de la moitié de la disponibilité mondiale, des ressources en eau inexploitées et de la main d’œuvre abondante et peu coûteuse.  Par ailleurs,  de nombreux gisements d’amélioration existent : gap substantiel sur les rendements, faiblesse de la mécanisation agricole et du taux de transformation des produits de base, les pertes énormes de récolte, méconnaissance et approche intuitive des marchés, etc. 

De nombreuses études ont également conclu que la croissance générée par l'agriculture en Afrique subsaharienne est plusieurs fois plus efficace pour réduire la pauvreté et créer des emplois que la croissance du PIB dans d'autres secteurs.  Ceci est d’autant plus vrai que la région regorge d’atouts et de moyens. La région possède de vastes terres non cultivées, soit près de la moitié de la disponibilité mondiale, des ressources en eau inexploitées. C’est pour cela qu’elle doit être au cœur de l’agenda de la transformation de nos économies. Pour ce faire, elle doit être attrayante et compétitive  ce qui nécessite des investissements massifs, aussi bien publics que privés, la création d’opportunités nouvelles pour l’entreprenariat des jeunes et une meilleure connexion aux marchés domestiques et régionaux. Cela peut se produire en optimisant les chaînes de valeur agricoles à fort potentiel de croissance en veillant à intégrer le maximum de petits producteurs dans l’économie formelle.

ll existe un florilège de modèles économiques qui soutiennent les petits agriculteurs, le socle de l’agriculture commerciale dans la région et l’industrie agroalimentaire tout en facilitant leurs accès aux services financiers, aux intrants, aux technologies, à la matière première de manière régulière, aux marchés et à l’information. Ces modèles ont fait leur preuve  


Dans les prochaines notes, je vais tenter de répondre aux questions suivantes: Qu’est-ce qu'une chaîne de valeur agricole, en quoi est-elle différente de la filière, quels sont ces modèles économiques que les entreprises actives dans les systèmes de  marché déploient pour accroître la valeur ajoutée, assurer la compétitivité de leurs produits sur les marchés et s’adapter aux mutations, et comment l’approche de financement des chaînes de valeur met en évidence les opportunités d’investissement rentables et attise l’appétit grandissant du secteur financier pour l’agriculture.