Mise au point par Michael Porter,
la chaîne de valeur est un outil d’analyse stratégique permettant d’identifier,
au sein d’une entreprise, les différentes activités clés créatrices de valeur
pour le client et une marge satisfaisante pour l’entreprise. Elle repose sur
l’enchaînement, la succession d’activités étape par étape jusqu’au produit ou
service final. Chaque étape permet d’y ajouter de la valeur formant ainsi
« la chaîne de valeur ou la valeur en chaîne».
Appliquée à une filière agricole,
la chaîne de valeur représente un ensemble d'activités interdépendantes et
séquentielles dont la mise en œuvre permet de créer de la valeur identifiable
et mesurable pour un produit sur un marché spécifique. Elle comprend les
acteurs directs que sont les fournisseurs d’intrants agricoles, les
producteurs, les commerçants et négociants, les industriels et les
distributeurs de produits transformés. Le deuxième groupe d’acteurs est
formé des fournisseurs de services de soutien comme les agrégateurs, les
gestionnaires de magasins de stockage ou de conservation, les concepteurs de marque
et fournisseurs d’emballage, le transport logistique, les prestataires de
services spécialisés divers comme les instituts de recherche, la certification,
les services de marketing et de communication et bien sûr, les fournisseurs de
services financiers et d’informations de marché.
Au niveau macro, la chaîne de valeur intègre
également les infrastructures (route, électricité et eau), le cadre légal et
règlementaire (foncier, normes et labélisation, fiscalité, règlementation
régionale et internationale, etc.) et la politique de développement du secteur qui
constituent aussi des leviers majeurs de compétitivité pour la chaîne de valeur.
Premier enseignement : le cadre d’analyse de l’agriculture
ou de l’évaluation d’un investissement dans l’agriculture doit aller au-delà de
la production et des petits exploitants qui les caractérisent en Afrique
subsaharienne. C’est à tout ce florilège d’acteurs économiques interdépendants (micros,
petits, moyens et grands) et à leur système de marché que nous devons désormais
penser lorsque nous abordons l’agriculture commerciale.
Deuxième enseignement : le marché, c’est à dire les
consommateurs, constitue l’essence et le point d’ancrage, d’où l’importance de bien comprendre les mécanismes
de marché si l’on veut optimiser une chaîne de valeur. Ce sont les exigences du
marché et de la compétitivité du produit qui déterminent la structure (complexe
ou simple, courte ou longue) de la chaîne de valeur. On dit qu’une chaîne de
valeur se construit de la gauche vers la droite ou de l’amont vers l’aval mais
s’exécute de la droite vers la gauche.
Comparée à la filière, la chaîne de valeur se
distingue par son approche orientée marché et son focus sur des produits finis.
En effet, la filière part d’un produit de base et aboutit à des produits finis
alors que la chaîne de valeur part d’un produit particulier ou spécifique pour
un marché précis (local, sous régional, international). Par exemple, quand on
parle de filière manioc, le produit de base est le manioc et les produits finis
sont les cossettes, le gari, l’attiéké, le couscous, les spaghettis, le
foutou, les chips, les beignets, les gaufrettes, le yaourt, l’éthanol,
etc. Les chaînes de valeur dans ce cas sont par exemple, le gari, le foutou, l’attiéké,
les beignets sur le marché de l’Afrique de l’Ouest, le bâton de manioc sur le
marché de l’Afrique Centrale, les agglomérés et
les cossettes de manioc pour le bétail en Europe et en Asie.
Par ailleurs, dans l’approche chaîne de valeur,
les acteurs sont interdépendants et la démarche est collective. On se préoccupe
de la compétitivité de la chaîne. Certains parlent de « compétition
collective » qui est à l’antipode de la compétition individuelle et des
rapports en bras de fer qui caractérisent la filière. Au cœur de ce collectif, se
trouve l’intensité du partage d’information qui est bien plus déterminante que
le capital dans le bon fonctionnement de la chaîne de valeur. Pour que le
collectif marche, l’information doit être partagée tout au long de la chaine de
valeur sur les exigences du marché (les consommateurs, la qualité des
produits demandés et les préférences), l’itinéraire technique du produit, les normes,
les prix, les cycles, les variétés et leurs rendements, la qualité des sols, la
recherche et les innovations, les technologies, la compétition mondiale et les
fenêtres de tir pour les divers produits, la politique de l’Etat, etc.
Troisième enseignement : les flux informationnels sont
aussi importants que les physiques de marchandises. Le partage d’information
est crucial pour la compétitivité de la chaîne. Il donne de la visibilité et de
la transparence dans un système d’organisation ou dans ce dispositif
institutionnel aussi complexe que la chaîne de valeur. Les risques sont mieux
partagés lorsque les flux physiques et informationnels sont alignés. Les fournisseurs
de services financiers et de capitaux (banques, assurances, fonds d’investissement).
Les risques sont portés de manière équitable, c’est à dire par les acteurs qui
sont les mieux équipés et ils sont rémunérés en raison des risques pris.
Somme toute, la chaîne de valeur est basée sur des
systèmes intégrés, une production différenciée, la gestion des risques, des
besoins d’information et l’interdépendance des exploitants agricoles et des
autres acteurs du système de marché. J’espère que cet article vous a édifié sur
la chaîne de valeur agricole et ce qui la distingue de la filière, deux termes
qui sont fréquemment utilisés de manière interchangeable alors qu’ils n’ont pas
la même signification.
Pour bien comprendre une chaîne de valeur, il faut en
saisir le modèle économique. Je vous entretiendrai prochainement sur les divers
modèles économiques qui permettent d’intégrer les petits exploitants, socle de
l’agriculture en Afrique subsaharienne au marché et à l’économie dans le but
d’améliorer leur revenu, de réduire la pauvreté rurale et de promouvoir une croissance
inclusive.
En attendant, faites-moi part de vos commentaires. Merci.